Monday, February 5, 2018

LES CHANTS DE MALDOROR COMTE DE LAUTRÉAMONT CHANT PREMIER
“En voyant ces spectacles, j’ai voulu rire comme les autres ; mais, cela, étrange imitation, était impossible. J’ai pris un canif dont la lame avait un tranchant acéré, et me suis fendu les chairs aux endroits où se réunissent les lèvres. Un instant je crus mon but atteint. Je regardai dans un miroir cette bouche meurtrie par ma propre volonté ! C’était une erreur ! Le sang qui coulait avec abondance des deux blessures empêchait d’ailleurs de distinguer si c’était là vraiment le rire des autres”

“...lasser les moralistes à découvrir leur cœur, et faire retomber sur eux la colère implacable d’en haut.”

“Mais, les hommes ne s’en aperçoivent pas. Je les ai vus aussi rougissant, pâlissant de honte pour leur conduite sur cette terre ; rarement.”


* * *


“Homme, n’as-tu jamais goûté de ton sang, quand par hasard tu t’es coupé le doigt ? Comme il est bon, n’est-ce pas ; car, il n’a aucun goût. En outre, ne te souviens-tu pas d’avoir un jour, dans tes réflexions lugubres, porté la main, creusée au fond, sur ta figure maladive mouillée par ce qui tombait des yeux ; laquelle main ensuite se dirigeait fatalement vers la bouche, qui puisait à longs traits, dans cette coupe, tremblante comme les dents de l’élève qui regarde obliquement celui qui est né pour l’oppresser, les larmes ?”


*
“L’étincelle divine qui est en nous, et paraît si rarement, se montre ; trop tard!”

“Une fois sortis de cette vie passagère, je veux que nous soyons entrelacés pendant l’éternité ; ne former qu’un seul être, ma bouche collée à ta bouche.”
*
« Ce n’est pas l’esprit de Dieu qui passe : ce n’est que le soupir aigu de la prostitution, uni avec les gémissements graves du Montévidéen. » Enfants, c’est moi qui vous le dis. Alors, pleins de miséricorde, agenouillez-vous ; et que les hommes, plus nombreux que les poux, fassent de longues prières.”


“Vous, qui me regardez, éloignez-vous de moi, car mon haleine exhale un souffle empoisonné. Nul n’a encore vu les rides vertes de mon front ; ni les os en saillie de ma figure maigre, pareils aux arêtes de quelque grand poisson, ou aux rochers couvrant les rivages de la mer, ou aux abruptes montagnes alpestres, que je parcourus souvent, quand j’avais sur ma tête des cheveux d’une autre couleur. ”

*
Vieil océan, ta forme harmonieusement sphérique, qui réjouit la face grave de la géométrie, Ne me rappelle que trop les petits yeux de l’homme, pareils à ceux du sanglier pour la petitesse, et à ceux des oiseaux de nuit pour la perfection circulaire du contour. Cependant, l’homme s’est cru beau dans tous les siècles. Moi, je suppose plutôt que l’homme ne croit à sa beauté que par amour-propre ; mais, qu’il n’est pas beau réellement et qu’il s’en doute ; car, pourquoi regarde-t-il la figure de son semblable avec tant de mépris ?”
*


Vieil océan, tes eaux sont amères. C’est exactement le même goût que le fiel que distille la critique sur les beaux-arts, sur les sciences, sur tout. Si quelqu’un a du génie, on le fait passer pour un idiot ; si quelque autre est beau de corps, c’est un bossu affreux. Certes, il faut que l’homme sente avec force son imperfection, dont les trois quarts d’ailleurs ne sont dus qu’à lui-même, pour la critiquer ainsi ! Je te salue, vieil océan !”


“ ...comme la beauté divine de l’oiseau, comme les méditations du poète. Tu es plus beau que la nuit. Réponds-moi, océan, veux-tu être mon frère ? Remue-toi avec impétuosité… plus… plus encore, si tu veux que je te compare à la vengeance de Dieu ; allonge tes griffes livides, en te frayant un chemin sur ton propre sein… ”


“et si le souffle de Satan crée les tempêtes qui soulèvent tes eaux salées jusqu’aux nuages. Il faut que tu me le dises, parce que je me réjouirais de savoir l’enfer si près de l’homme.”

“Que le vent, dont les sifflements plaintifs attristent l’humanité, depuis que le vent, l’humanité existent, quelques moments avant l’agonie dernière, me porte sur les os de ses ailes, à travers le monde, impatient de ma mort.”
*
“ ...ou bien, est-ce parce que vous me voyez parcourir, phénomène nouveau, comme une comète effrayante, l’espace ensanglanté ?”


Je m’aperçois, en effet, que ce n’était malheureusement qu’une maladie passagère, et je me sens avec dégoût renaître à la vie. 

*
"Si quelque pensée orgueilleuse s’insinue dans notre imagination, nous la rejetons aussitôt avec la salive du dédain et nous t’en faisons le sacrifice irrémissible.”

“– Il ne faut pas qu’un doute inutile tourmente ta pensée : toutes ces tombes, qui sont éparses dans un cimetière, comme les fleurs dans une prairie, comparaison qui manque de vérité, sont dignes d’être mesurées avec le compas serein du philosophe. Les hallucinations dangereuses peuvent venir le jour ; mais, elles viennent surtout la nuit”


“Parle, et, puisque, d’après tes vœux les plus chers, l’on ne souffrirait pas, dis en quoi consisterait alors la vertu, idéal que chacun s’efforce d’atteindre, si ta langue est faite comme celle des autres hommes.”



“Ses rides doivent-elles être regardées avec vénération ? Je l’ignore, et je crains de le savoir.”

“Puis, il ne voudrait pas me répondre, cela est certain : c’est souffrir deux fois que de communiquer son cœur en cet état anormal.”


“Chacun paie un impôt, proportionnel à la richesse de la demeure qu’il s’est choisie ; et, si quelque avare refusait de délivrer sa quote-part, j’ai ordre, en parlant à sa personne, de faire comme les huissiers : il ne manque pas de chacals et de vautours qui désireraient faire un bon repas. J’ai vu se ranger, sous les drapeaux de la mort, celui qui fut beau ; celui qui, après sa vie, n’a pas enlaidi ; l’homme, la femme, le mendiant, les fils de rois ; les illusions de la jeunesse ; les squelettes des vieillards ; le génie, la folie ; la paresse, son contraire ; celui qui fut faux, celui qui fut vrai ; le masque de l’orgueilleux, la modestie de l’humble ; le vice couronné de fleurs et l’innocence trahie.

*

“Quel mystère cherches-tu ? Ni moi, ni les quatre pattes-nageoires de l’ours marin de l’océan Boréal, n’avons pu trouver le problème de la vie. ”
*
“Tu dois être puissant ; car, tu as une figure plus qu’humaine, triste comme l’univers, belle comme le suicide.”.

No comments:

Post a Comment